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Le clonage humain est-il un crime contre 
l'humanité ?*
Gérard HUBER
Docteur en psychopathologie clinique et psychanalyse
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Introduction
Allons-nous vers l'énoncé de droits de l'espèce humaine ? 
                  Dans 
un débat avec Albert Einstein, Sigmund Freud définit le droit comme "puissance 
d'une communauté", qui s'oppose à la violence brute ou appuyée sur l'intellect. 
Son expression la plus haute est la loi. 
                  Pour 
ce qui concerne la violence physique, le " crime contre l'humanité " a été 
décrit en 1947, lors du Tribunal de Nuremberg, comme " l'assassinat, 
l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte 
inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, 
ou les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque 
ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit 
interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout 
crime rentrant dans la compétence du tribunal ou en liaison avec ce crime ". 
                  De 
son côté, l'article 5 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (1948) 
(qui ne nomme pas le crime contre l'humanité), repris dans la Convention de 
sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, stipule que "nul 
ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou 
dégradants". Il est précédé par l'article 4 qui proscrit l'esclavage : "nul ne 
sera tenu en esclavage ni en servitude; l'esclavage et la traite des esclaves 
sont interdits sous toutes leurs formes". 
                  Pour 
ce qui est de la violence de l'intellect, seule la Déclaration de 1948 est 
explicite. C'est ainsi que l'article 8 proclame que "toute personne a droit à la 
liberté de pensée, de conscience et de religion ou de conviction...", et 
l'article 19 à la liberté d'opinion et d'expression. Mais, il n'est nulle part 
envisagé qu'une violence de l'intellect puisse être un crime contre l'humanité. 
                  Néanmoins, 
posons-nous la question suivante : pourquoi cette différence entre le jugement 
du Tribunal de Nuremberg (1947) et la Déclaration de 1948 ? Parce que la 
recherche -liberté de pensée s'il en est - et les traitements médicaux, n'ont 
jamais été considérés comme incompatibles avec les pratiques -dites inhumaines- 
parce que relevant de l'esclavage et de la soumission ou parce qu'exerçant des 
violences. Le seul fait que la médecine se référait au Serment d'Hippocrate qui 
affirme que "même sous la menace, je n'admettrai pas de faire usage de mes 
connaissances médicales contre les lois de l'humanité", et qu'elle progressait 
"pour le bien de l'humanité", excluait tout approfondissement de la question, 
jusqu'à ce qu'en 1947, les expérimentations biomédicales cliniques deviennent, à 
leur tour, l'objet d'un encadrement nouveau. 
                  1947, 
c'est la date de la fin du procès de Nuremberg, au cours duquel les exactions, 
atrocités et massacres commis par les nazis ont été jugées non seulement sur le 
plan militaire, moral et politique, mais également sur le plan de l'utilisation 
de la science et de la médecine. Jamais auparavant, l'on ne s'était demandé si 
médecine et esclavage ou mise à mort pouvaient fonctionner ensemble. Or, l'on 
s'était rendu compte que l'organisation politique du 3ème Reich avait utilisé la 
biologie et la médecine dans le sens d'une justification de l'asservissement 
total de l'homme par l'homme. Ce n'est pas le lieu de développer l'aspect 
historique de cette question. Aussi conseillerai-je de se reporter aux livres De 
Benno Müller-Hill, "Science de vie, science de mort"12, 
et de John Lifton, "Les Médecins nazis"13, 
qui sont trés éclairants. 
                  Le 
résultat est que même les médecins et les chercheurs, qui n'ont jamais accepté 
et n'accepteront jamais d'être au service de la servitude ou de l'esclavage, se 
sentent, désormais interpellés, du fait qu'ils ne peuvent plus ignorer le risque 
de violence, appuyée sur cette forme d'intellect qu'est la technoscience 
biomédicale, violence potentielle que recèlent les situations de la recherche et 
du traitement médicaux, lorsque ceux-ci sont mis en place, à l'encontre de la 
volonté du patient. 
                  On 
voit en quoi, si l'on se réfère à ces définitions, l'expression " crime contre 
l'humanité " est inadéquate au clonage humain. 
                  Par 
ailleurs, il faut prendre acte de la nouveauté, introduite par la biologie, et 
notamment la biologie moléculaire et la génétique, à savoir la distinction entre 
espèce humaine et humanité, à partir du moment où l'humanité détient les moyens 
scientifiques et techniques de modifier l'espèce humaine. Le respect de l'" 
espèce humaine " ne figure, pas dans la Déclaration Universelle des Droits de 
l'Homme, pour la bonne et simple raison qu'espèce humaine et humanité étaient 
alors conceptuellement identiques. Mais, elle figure dans la loi française de 
1994 et dans le Code pénal. 
                  La 
radicalisation de la position de la loi française conduit donc à cette 
interrogation : faut-il désormais concevoir et formuler des droits de l'espèce 
humaine à respecter qui seraient distincts des droits de l'humanité ? Deux 
avancées biologiques conduisent à se poser cette question. 
                  La 
première est la voie de recherche et de traitement expérimentaux que l'on 
appelle la "thérapie génique". La seconde est le clonage humain.
                  Commençons 
par la première. Tant que cette thérapie, qui n'en est qu'à ses commencements, 
et consiste notamment à substituer un gène sain à un gène déficient dans 
l'organisme, ne concerne que l'individu qui souffre d'une maladie incurable par 
d'autre moyen, elle demeure dans le cadre de la superposition entre humanité et 
espèce humaine. Mais, à partir du moment où l'on envisage de développer une 
thérapie génique dont l'effet n'est pas limité à cette personne mais s'étend à 
sa descendance, à qui elle transmettra sa part de génome préalablement modifié, 
on intervient directement dans le devenir de l'espèce humaine. Telle est la 
distinction entre "thérapie génique somatique", la première et "thérapie génique 
germinale",la seconde. 
                  La 
première est dite somatique, parce que la modification s'effectue au niveau des 
organes, la seconde est dite germinale, parce qu'elle s'effectue au niveau des 
cellules sexuelles. A la différence de la thérapie génique, dont les premiers 
essais ont eu lieu aux Etats-Unis, auprès d'une enfant qui était atteinte d'une 
forme incurable de cancer, et qui se porte mieux depuis, le clonage humain n'est 
pas encore une réalité. Rappelons que le clonage est d'abord et avant tout une 
technique de duplication. Théoriquement, il existe deux sortes de clonage humain 
radicalement différentes l'une de l'autre : La technique peut, en effet, être 
appliquée soit à une cellule soit à un œuf fécondé. 
                  Le 
clonage cellulaire consiste à reproduire une cellule sans recours à un 
spermatozoïde et sans fécondation. Une cellule adulte somatique (qui a une 
fonction spécifique au niveau d'un organe, par exemple de peau) est prélevée 
chez un mammifère. On lui ôte son enveloppe cytoplasmique et l'on conserve le 
noyau dans lequel se trouvent les chromosomes. Elle est placée dans une 
éprouvette, où se trouve également un ovule d'un autre mammifère dont on a ôté 
le noyau et gardé seulement le cytoplasme. Par électro-stimulation, ce noyau et 
ce cytoplasme fusionnent et deviennent une nouvelle cellule, qui existe au stade 
antérieur à toute spécialisation. Il s'agit d'un embryon -in vitro- obtenu sans 
fécondation. Au bout de quelques jours, cet embryon est implanté dans un utérus 
de mammifère, qui, au terme de quelques mois, devient un petit, doté de la même 
constitution génétique que le mammifère dont on a prélevé la cellule et dont on 
a gardé le 
noyau.
                  Le 
clonage d'un œuf fécondé in vitro avec spermatozoïde et ovule consiste par 
division embryonnaire à extraire le noyau de chacune des cellules de l'œuf et à 
les implanter dans des cytoplasmes d'ovules receveurs préalablement vidés de 
leur propre noyau. Alors, les huit œufs se divisent à leur tour, donnant huit 
embryons que l'on implante alors dans plusieurs utérus de mères porteuses. Les 
petits qui naîtront auront, comme tous les petits, une constitution génétique 
transmise par un père et une 
mère.
                  Pour 
le sujet de la loi, qui se trouve devant une nouvelle réalité scientifique et/ou 
thérapeutique, supposant la modification de l'espèce humaine, la question semble 
être la suivante : la loi, telle qu'elle existe, pare-t-elle à toutes les 
éventualités d'atteinte à la dignité humaine, qui pourraient être induites par 
cette nouvelle réalité ? Cette question est encore plus difficile, lorsque cette 
réalité n'en est encore qu'au stade du possible. C'est pourquoi, le sujet de la 
loi doit distinguer le possible du fantasmatique, c'est-à-dire ce qui, d'avoir 
été un fantasme, est tout près de devenir une réalité scientifique et technique, 
et ce qui est et demeure un fantasme. 
                  Enfin, 
un autre élément complique trés sérieusement l'analyse. En effet, il se peut 
très bien que ce qui est fantasme à un moment donné, faisant l'objet d'une 
condamnation, doive sa réalisation ultérieure au fait que la loi a laissé les 
artisans de ce fantasme progresser suffisamment vers son passage à la réalité. 
                  Autrement 
dit, la loi ne peut prévenir, elle peut seulement faire et faire respecter la 
loi. Mais, elle est de plus en plus conduite à réfléchir sur "le " passage du 
fantasme à la réalité ". 
                  En 
France, il y a treize ans, lorsque les premiers rapports relatifs aux nouveaux 
développements de la médecine biologique ont été réalisés par des juristes, à la 
demande des autorités du pays, il y avait des partisans d'une législation sur la 
totalité des applications réelles, possibles et fantasmatiques des techniques 
non naturelles de procréation humaine et il y avait des partisans d'une loi qui 
n'engloberait que ce qui était de l'ordre du réel et du possible. 
                  Comme 
le Législateur n'est pas un " enfant de cœur ", il a pensé que l'essentiel était 
pour lui d'énoncer un certain nombre de principes cohérents avec la doctrine, et 
de décliner des sanctions relatives à toutes les transgressions. C'est ainsi que 
le Conseil Constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les lois de 
1994 relatives au respect du corps humain et la loi relative au don et à 
l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale, 
à la procréation et au diagnostic prénatal, au nom des principes suivants : 
primauté de la personne humaine, respect de l'être humain dès le commencement de 
la vie, l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du 
corps humain ainsi que l'intégrité de l'espèce humaine, et respect du principe 
constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. 
                  En 
France, il n'existe pas de texte de loi interdisant de manière claire et 
distincte la reproduction par division embryonnaire ou par transfert nucléaire. 
Mais, nombreux sont ceux qui considèrent que le chapitre II "du respect du corps 
humain" de la loi du 20 juillet 1994 encadre insuffisamment les applications de 
la biologie. L'article 16-4 proclame, en effet : "Nul ne peut porter atteinte à 
l'intégrité de l'espèce humaine. Toute pratique eugénique tendant à 
l'organisation de la sélection des personnes est interdite. Sans préjudice des 
recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, 
aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le 
but de modifier la descendance de la 
personne".
                  Pourquoi 
cette entrée du concept de l'espèce humaine dans la loi ? Parce que le 
législateur a voulu aller plus loin que protéger l'intégrité du corps 
humain.
                  De 
fait, il s'agit surtout de respecter la diversité génétique, en interdisant la 
sélection par le sexe et sur des critères physiques ou "raciaux" (je mets " 
raciaux " entre guillemets, car je pense qu'il faut retirer le mot " race " de 
la constitution française et de tout texte de loi, étant donné que la " race " 
n'existe 
pas).
                  Il 
s'agit également de se prémunir contre toutes manipulations génétiques qui 
pourraient altérer les caractéristiques essentielles de l'espèce humaine.
                  Ce 
disant, en 1994, le législateur pensait essentiellement aux thérapies géniques, 
c'est-à-dire à ces interventions thérapeutiques sur le génome humain qui sont 
censées pouvoir modifier le génome d'une personne gravement malade, dans le but 
de la soigner, mais qui ne doivent en aucun cas se traduire par une transmission 
de la modification par gamète interposé, pour le cas où cette même personne se 
reproduirait après avoir été soignée. Visiblement, il n'a pas jugé utile de 
mentionner le clonage humain, parce que cette technique tombait "inévitablement" 
sous le coup de l'interdiction. 
                  Aussi, 
les Académies de médecine, de pharmacie, des sciences, le Comité Consultatif 
National d'Ethique/CCNE et les Conseil Nationaux des Ordres des Médecins et des 
Pharmaciens ont-elles déclaré, le 15 mai 1997, que 
:
                  "Ils 
condamnent de manière véhémente, catégorique et définitive, toute méthode 
tendant à la reproduction à l'identique d'une personne humaine, c'est-à-dire 
tout clonage à visée 
reproductive.
                  Ils 
demandent au législateur qu'un texte complémentaire, interdisant tout clonage 
reproductif sur l'homme soit introduit dans le Code de la santé publique à 
l'occasion de la révision des lois de bioéthique, prévue en 1999. 
                  Ils 
demandent que toute initiative soit prise tant au plan européen que mondial pour 
proscrire le clonage reproductif". 
                  Cette 
position n'est pas exactement identique à celle que le CCNE a exprimée, alors 
qu'il était saisi par le Président Chirac. Le CCNE souligne, en effet, que, 
quand bien même l'article 16-4 des lois de bioéthique de 1994 ne nomme pas le 
clonage humain, il indique cependant clairement que le législateur le bannit : 
d'autres articles de loi interdisent son émergence : l'article L.152-8 qui 
l'interdit de procéder à une conception in vitro d'embryons à des fins de 
recherche ou d'expérimentation, l'article L 152-8 qui interdit d'expérimenter 
sur l'embryon, l'article Les articles L 152-1 à L 152-3 qui limite l'assistance 
médicale des personnes et couples stériles aux seules techniques de procréation. 
Mais, ces interdictions ne sont qu'implicites. C'est pourquoi, une intervention 
nouvelle du Législateur se justifierait à des fins d'explicitation. Surgit alors 
un argument trés curieux : en effet, le Comité devient soudain trés hésitant, 
parce que l'explicitation conduirait nécessairement à l'adjonction d'un nouvel 
interdit spécifique, qui risquerait d'affaiblir la portée générale des 
principes, notamment ceux de l'article 
16-4.
                  On 
reste donc confondu devant un tel jugement. En effet, soit il y va de la 
modification de l'espèce humaine, et alors un interdit du clonage humain 
s'impose pour renforcer les principes, suivi d'autres, plus tard, si nécessaire, 
soit l'interdit ne s'impose pas, mais alors ce sont les principes qui non 
seulement ne sont pas affaiblis par le clonage, mais n'ont même pas lieu d'être 
énoncés. 
                  Tout 
indique que le CCNE n'a pas pris la mesure de ce que signifie l'entrée de la 
question de l'espèce humaine dans la loi. 
                  Je 
partage l'idée que le premier des principes législatifs des textes de loi qui 
encadrent le développement des sciences et des techniques biomédicales est la 
primauté de la personne humaine dans son individualité propre, au regard de quoi 
l'idée d'humanité est parfois un simple rideau rouge dissimulant le non-respect 
de cette primauté. Mais cela ne doit pas nous détourner d'une autre question, 
qui ne concerne plus seulement l'humanité comme telle, mais l'humanité en tant 
qu'elle prend en charge le destin de l'espèce humaine. Ce destin est-il ou non 
en train de se modifier ? Ne revient-il pas au législateur, non seulement 
national, bien entendu, mais mondial -à condition qu'il se constitue comme tel-, 
de légiférer sur l'interdiction ou sur l'autorisation de cette modification 
?
                  "Convaincus 
de la nécessité de respecter l'être humain à la fois comme individu et dans son 
appartenance à l'espèce humaine et reconnaissant l'importance d'assurer sa 
dignité" : telle est une partie du Préambule à la Convention pour la protection 
des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des 
applications de la biologie et de la médecine -Convention sur les droits de 
l'homme et la biomédecine-, adoptée le 19 Novembre 1996 par le Comité des 
ministres du Conseil de l'Europe. "Comme individu et dans son appartenance à 
l'espèce humaine". Ainsi que le rappelle Sigmund Freud, dans Pour introduire le 
narcissime, "l'individu, effectivement, mène une double existence : en tant 
qu'il est lui-même sa propre fin, et en tant que maillon d'une chaîne à laquelle 
il est assujetti contre sa volonté ou du moins sans l'intervention de celle-ci. 
Lui-même tient la sexualité pour l'une de ses fins, tandis qu'une autre 
perspective nous montre qu'il est un simple appendice de son plasma germinatif, 
à la disposition duquel il met ses forces en échange d'une prime de plaisir, 
qu'il est porteur mortel d'une substance -peut-être immortelle- comme l'aîné 
d'une famille ne détient que temporairement un majorat qui lui survivra". 
                  Dans 
le langage de la biologie du XIXè, l'espèce est cette chaîne de plasmas 
germinatifs qui assurent sa reproduction et sa perpétuité. Plus près de nous, 
c'est, selon le biologiste Ernst Maÿr, un groupe de populations naturelles à 
l'intérieur desquels les individus sont réellement (ou potentiellement) capables 
de se croiser. Comme depuis Gregor Mendel, nous savons que la reproduction d'un 
organisme vivant suppose le croisement de deux ensembles de gènes appartenant 
respectivement à deux organismes originaires de sexe différent, ce qui définit 
l'essentiel de l'espèce, c'est donc son mode de reproduction sexuée biparentale. 
                  Dans 
ce contexte, l'on comprend que si le clonage humain par transfert de noyau et à 
partir d'un seul organisme peut être à l'origine de la reproduction asexée d'un 
être humain, il met en question la définition même de l'espèce humaine par 
l'interfertilité sexuée. Il y a donc solidarité conceptuelle entre la définition 
de l'espèce humaine et l'interdiction du clonage 
humain.
                  Ce 
n'était pas le cas avant, c'est-à-dire à l'époque où la perspective du clonage 
humain ne se présentait pas sous une forme scientifique et technique. Pendant 
longtemps, le débat entre les hommes a seulement porté sur l'existence ou la 
non-existence de races humaines, qui fonctionnaient dans la tête comme des 
subdivisions de l'espèce humaine. Les uns prétendaient que l'espèce humaine 
était une et indivisible, tandis que les autres affirmaient qu'elle était 
morcelée en races dites supérieures et races dites inférieures.
                  Pour 
autant, les premiers n'étaient pas forcément anti-racistes; quant aux seconds, 
ils n'avaient pas nécessairement besoin de recourir à l'idée d'une existence 
biologique de l'espèce humaine pour instaurer la discrimination raciale. 
                  Les 
données du débat montraient donc clairement que l'essentiel se situait dans la 
décision des uns et des autres d'être favorables ou défavorables à une mise à 
l'écart ou à une élimination de certaines populations par une autre (celle à 
laquelle on appartenait de 
préférence).
                  Comme 
on sait, ces données sont loin d'avoir disparu. Les historiens de la pensée 
peuvent se pencher avec curiosité et, parfois, horreur, sur les fausses 
combinaisons et enchaînements utilisés par les racistes pour justifier leur 
volonté d'exclusion, et avec agacement et, parfois, crainte, sur les 
incohérences qui habitent certains discours et pratiques qui se veulent 
anti-racistes.
                  Mais, 
tandis que ce débat poursuit sa route, un autre, sur l'espèce humaine, 
intervient presqu'en silence, apporté par l'interrogation que rendent désormais 
possible les nouvelles connaissances biologiques (immunologiques, reproductiques 
(procréations et reproductions asexuées, génétiques et neurobiologiques 
notamment) sur l'homme, et leurs applications réelles ou potentielles.
                  Pour 
ce qui concerne l'immunologie, nous savons qu'il est désormais possible de 
recourir aux transplantations xénogéniques -ou interespèces- pour pallier au 
manque d'organes. Ainsi, le Professeur Alain Carpentier a constaté dès 1992 
qu'un rein de chimpanzé a fonctionné neuf mois chez un homme, et un cœur de 
babouin quatre semaines chez un nouveau-né. Des greffes de valves cardiaques 
animales préalablement conditionnées sont, quant à elles, bien tolérées chez 
l'homme. Depuis, d'autres avancées ont eu lieu. Il y a donc passage possible 
d'une espèce animale à l'autre. 
                  Sur 
le plan moléculaire, la biologie a, pour sa part, constaté l'universalité du 
code qui fait fonctionner les génomes de tous les êtres vivants.
                  Dans 
le domaine des techniques de reproduction, nous avons vu qu'il était possible 
d'assurer la reproduction de certains animaux par clonage, c'est-à-dire sans 
passer par la 
sexualité.
                  Enfin, 
selon la neurobiologie, "aucune catégorie cellulaire, aucun type de circuit 
particulier n'est propre au cortex cérébral de 
l'homme".
                  Aussi 
le cours nouveau de la biologie accuse-t-il l'idée que la spécificité de 
l'espèce humaine tient davantage à la décision de ses membres de vivre selon le 
critère de leur appartenance à un ensemble dans lequel ils se reconnaissent, 
qu'à telle ou telle spécificité biologique. Cette décision consiste à constituer 
une humanité dont l'essence est d'attribuer à chaque être humain une 
dignité.
                  Aussi, 
à moins de considérer l'humanité comme une espèce biologique définie par son 
mode de procréation, force est de reconnaître que, quels que soient ou pourront 
être les caractéristiques de conception, de naissance et de développement d'un 
être issu de membres de l'espèce humaine, il est nécessairement digne et membre 
de 
l'humanité.
                  Ou 
bien alors, en brandissant la menace d'une atteinte portée à l'intégrité de 
l'espèce humaine, du fait d'une modification de la conception de certains de ses 
membres, on se prépare d'ores et déjà à distinguer plusieurs espèces, l'une 
procréée, l'autre clonée, cette dernière n'étant plus appelée humaine. Il 
s'agirait alors de préparer une nouvelle forme de discrimination -du type du 
crime contre l'humanité-entre les dignes (les procréés) et les indignes (les 
clonés).
                  Rompre 
avec cette logique supposerait d'abandonner le point de départ du raisonnement, 
la définition de l'espèce par l'interfertilité sexuée et d'en venir à une 
définition seulement morphologique, c'est-à-dire se référant à la seule 
apparence de l'être humain, L'espèce humaine se définirait par la seule 
ressemblance morphologique. Par un autre tour de vis, cela n'irait pas sans 
poser de problèmes, étant donné que c'est justement la reproduction à dessein 
d'êtres qui se ressemblent comme deux jumeaux qui posent problème au droit, du 
fait que la substitution de l'un par l'autre, ou l'attribution d'un fait par 
l'un à l'autre, ne manqueraient pas de devenir sources d'inégalités potentielles 
devant la loi.
Le clonage humain est-il un crime contre l'humanité ?
                  Ayant 
posé la question d'une distinction entre " droits de l'espèce humaine " et " 
droits de l'humanité ", j'en viens, à présent, à la confrontation du clonage 
humain avec le crime contre l'humanité. Le débat qui s'instaure ne porte pas sur 
une hypothèse d'école. Il a été introduit par l'entrée du principe du respect de 
l'intégrité humaine dans la loi française et porte sur la question suivante : le 
clonage humain est-il un crime contre l'espèce humaine, un crime contre 
l'humanité, ou un non-crime 
?
                  Une 
première position consiste à le considérer comme un crime contre l'espèce 
humaine, dans la mesure où il porte atteinte au principe de sa perpétuation, 
mais pas comme un crime contre l'humanité, dans la mesure où les êtres 
éventuellement clonés sont contenus dans le cadre de l'humanité. 
                  Une 
deuxième position en tire les leçons et pense que ce n'est pas à proprement 
parler un crime, ni contre l'espèce humaine ni contre l'humanité. 
                  Inversement, 
une troisième position est de le considérer comme un crime contre l'espèce 
humaine, si l'humanité se réduit à n'être qu'un sujet qui se prend en charge 
comme tel, et dans ce contexte, il est également un crime contre l'humanité, les 
êtres vivants humains clonés en étant 
exclus.
                  Aux 
termes de ce débat doivent s'ajouter d'autres considérations sur la naissance et 
la 
conception.
                  En 
effet, tant qu'on réfère le clonage humain à la création d'un enfant à naître, 
il ne peut être considéré au sens strict comme un crime contre l'humanité. En 
effet, comme le remarque André Froissard, par-delà la violence physique, 
l'essence du crime contre l'humanité consiste à mettre à mort un être humain, 
sous le prétexte qu'il est né. Or les partisans du clonage ne le présente 
pas comme une mise à mort, mais comme une aide à la conception et attribue à 
l'être cloné un droit à 
naître.
                  Par 
ailleurs, pour aborder la question du clonage humain dans de bonnes conditions 
intellectuelles, il convient de tenir compte de l'obsolescence de la référence 
du premier article de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme qui fonde 
la liberté et l'égalité sur la naissance. 
                  Les 
nouvelles techniques de procréation ont fait remonter le problème en amont, nous 
sommes passés de la naissance à la 
conception.
                  C'est 
donc dès la conception que la liberté et l'égalité sont attestées, ce qui 
signifie que l'être humain cloné participerait des mêmes principes que l'être 
humain 
procréé.
                  Autant 
dire que l'humanité contient plus que l'espèce humaine biologique se prenant 
pour 
sujet.
                  Nous 
en arriverions donc à cette idée que le clonage humain n'est pas un crime contre 
l'humanité, et qu'il doit seulement être encadré législativement au même titre 
que toute autre méthode d'assistance médicale à la procréation, à charge, pour 
le législateur, qui représente une société qui s'y oppose, de le rendre 
impraticable, et passible de sanctions extrêmement lourdes pour des raisons 
objectivement 
démontrées.
                  Mais 
nous ne pouvons nous satisfaire de cette argumentation, pour la bonne et simple 
raison que l'expérimentation en laquelle le clonage humain consiste, passerait 
nécessairement par l'horreur du crime contre l'humanité pour être réalisée.
                  Et 
du crime contre l'humanité, il n'y a à attendre aucune connaissance ni aucun 
soin, comme l'ont montré les crimes nazis, mais seulement une destruction 
systématique de toute humanité.
Exposons notre raisonnement. 
                  Le 
clonage humain réalisé par les chercheurs sud-coréens, à la fin de l'année 
dernière, révèle les aspects immoraux d'une telle entreprise : préméditer le 
mal, tout en sachant qu'aucune autorité n'est capable d'interdire son avènement. 
La différence entre ces chercheurs et le comportement nazi est dans leur 
vulnérabilité par le remords. Autrement dit, la désensibilisation morale n'a pas 
encore eu complètement lieu, à la différence de ce qui s'était produit chez les 
nazis. D'où l'argument selon lequel le débat actuel sur le clonage humain est en 
grande partie guidé par un désir inconscient de désensibilisation morale, que 
l'interdiction ne saurait interrompre par 
elle-même.
                  2. 
Le clonage humain par transfert nucléaire consiste, s'il est accompli jusqu'au 
bout, à prendre le risque de créer des êtres humains gravement malades, 
stériles, à les utiliser comme cobayes et esclaves, destinés à naître pour 
mourir dans les plus brefs délais, après utilisation de leurs organes, en 
attendant les lendemains de la santé et de l'immortalité qui chantent.... On ne 
peut, en effet, affirmer qu'il faut procéder à des expériences et certifier 
qu'on dispose de toutes les certitudes concernant leur innocuité. En 
conséquence, la technique de clonage humain impose de s'interroger sur la 
pertinence du bilan risques/bénéfices dans le cadre d'une telle expérimentation. 
Autrement dit, est-ce que cloner l'être humain est une rupture radicale avec 
toutes les formes d'expérimentation qui ont existé jusqu'à ce jour, ou est-ce 
une expérimentation parmi tant d'autres ? Et alors, pourquoi l'interdire de 
manière définitive, si ce n'est parce que c'est décider de faire naître et vivre 
des êtres humains pour les faire souffrir et mourir 
?
                  Pour 
ce qui concerne le transfert nucléaire à partir de cellules adultes, nous savons 
qu'il existe des risques considérables et variés liés à son utilisation. Une vie 
brève (on a, par exemple, récemment découvert que l'âge des gènes du mammifère 
issu du clonage était le même que celui des gènes du mammifère cloné), exposée 
au cancer et à la stérilité, qui, en cas de fertilité, transmettrait un taux 
élevé d'anomalies génétiques à la descendance, voilà ce que l'on pense qui 
attend les éventuels clones. Et si l'on veut prouver le contraire, alors faut-il 
attendre d'avoir des résultats longitudinaux significatifs chez l'animal, tout 
en sachant que le passage à l'homme ne peut se satisfaire d'une simple 
projection d'événements biologiques d'un règne à l'autre. Or, les fanatiques du 
clonage humain sont bien décidés à aller de l'avant sans plus attendre.
                  Expérimenter 
pour prouver que les risques sont inexistants rejoint l'autre face du crime 
contre l'humanité jugé à Nuremberg, qui consiste à se servir de 
l'expérimentation humaine non pour progresser dans la connaissance et le soin, 
mais par curiosité mortifère. Il ne s'agit pas de partir d'un organisme malade 
et d'essayer de le guérir; il s'agit de créer un organisme qui a tous les 
risques d'être malade, au prétexte que l'on veut étudier sur lui comment guérir 
de certaines maladies, ou les 
pallier.
                  Cette 
décision est un crime contre l'humanité, puisque c'est une manipulation de la 
conception et de la naissance qui contient l'inscription de la souffrance 
mortelle infligée volontairement. Faire naître pour 
torturer.
                  Ce 
type de raisonnement n'est d'ailleurs pas totalement étranger à la fécondation 
in vitro (FIVETE) actuelle, puisque celle-ci a souvent recours à un autre type 
de clonage, le clonage par division embryonnaire. En effet, selon Jacques 
Testart, "l'intérêt médical d'adjoindre à la FIVETE cette technique serait 
d'augmenter les chances de grossesse en replaçant dans l'utérus deux embryons 
plutôt qu'un seul. Un autre intérêt, scientifique aujourd'hui (en 1986) et 
médical à terme, serait de pouvoir analyser sous différents aspects (structural, 
cytogénétique...) l'hémiembryon, frère jumeau de celui qu'on replace in utero : 
cette stratégie serait l'occasion privilégiée de comprendre la part qui revient 
à la "qualité" de l'embryon dans les échecs de la 
FIVETE".
                  Pour 
ce qui concerne l'intérêt médical, la loi française ne se prononce pas sur la 
division embryonnaire, parce que celle-ci n'est pas pratiquée. En effet, dans le 
cadre de la FIVETE, la multiplication des chances de succès d'une grossesse se 
traduit par un recours à la stimulation hormonale des ovaires au risque 
d'hyperstimulations, afin d'obtenir beaucoup d'embryons. Certains sont 
transplantés (le plus souvent trois), si bien que, une fois sur quatre, l'on 
arrive à une grossesse multiple. Au demeurant ce chiffre ne cesse d'augmenter. 
En conséquence de quoi, les médecins indiquent une "réduction embryonnaire", 
lorsqu'il y a grossesse de quatre embryons et plus, ainsi que dans d'autres 
pathologies. La mère demande rarement cette intervention, et y consent, 
puisqu'elle est prévenue de ce risque. 
                  Réduire 
un embryon, c'est stopper son développement, sans nuire à celui des autres.
                  D'autres 
ont été préservés en cryopréservation, pour le cas où la grossesse a été un 
échec.
                  Des 
embryons sont donc programmés pour être détruits, d'autres sont prévus comme des 
embryons de 
remplacement.
                  Récemment, 
les Drs Medrum et Gardner ont publié dans le New England Journal of Medicine du 
27/8/98, une analyse des chances de grossesse au cours des FIVETE, qui, 
s'appuyant sur les travaux de chercheurs écossais (Templeton et coll. Aberdeen 
Maternity Hospital), soutient que, comparé au transfert de quatre embryons, 
celui de deux seulement réduit les risques de grossesse multiple.
                  Quoiqu'il 
en soit, la seule chose qu'on ignore, c'est lequel va se développer.
                  Ces 
pratiques supposent déjà l'habitude du médecin, du biologiste, de la mère et du 
père à écarter voire donner la mort à l'embryon qui, s'il ne vient pas "en 
plus", puisqu'il est provoqué, devient gênant et donc "en plus", lorsque le 
développement d'un autre se fait dans de bonnes conditions. Elles supposent 
également leur l'habitude à suspendre le développement d'un embryon. Il est vrai 
que celle-ci a été mise en place dans l'attente d'un perfectionnement de la 
technique, qui devait rendre inutile cette production d'embryon dit 
"surnuméraire".
                  Mais 
cette attente a été vaine. Il n'y a aucune chance pour qu'une FIVETE marche à 
chaque coup. C'est donc une pratique honteuse, dont on tait l'existence, parce 
qu'y réfléchir remettrait en cause la légitimité de la 
FIVETE.
                  En 
fait, la rupture éthique est clairement désignée à l'endroit de la production 
d'un des embryons comme un moyen utilisé au profit de l'autre auquel est assigné 
le statut de 
fin.
                  Nous 
sommes déjà dans la pratique du "désapprentissage" de la moralité, voire dans 
l'apprentissage du "crime contre l'humanité", puisque l'un des embryons est 
conçu pour être mis à mort ultérieurement. 
                  Cette 
destruction ne s'apparente en rien à l'avortement pour cause thérapeutique. 
L'avortement est une décision après-coup, la "réduction embryonnaire", une 
réduction avant coup, c'est-à-dire 
programmée.
                  Un 
pas de plus pourrait être de remplacer cette technique aléatoire qu'est la 
stimulation ovarienne par la division embryonnaire, mais cela renforcerait le 
caractère criminel de ce dispositif, étant donné que c'est un des deux jumeaux, 
qui serait programmé pour la mise à 
mort.
                  Une 
solution serait de maintenir en vie les deux jumeaux, afin qu'ils naissent et se 
développent. Mais alors, il s'agirait d'une détermination artificielle du nombre 
d'enfants, qui, comme la détermination du sexe de l'enfant, introduirait une 
rupture dans la distribution des différences entre couples stériles et couples 
fertiles devant leur procréation. Il ne s'agirait, certes pas, d'un "crime 
contre l'humanité", mais de donner un avantage aux uns par rapport aux autres, 
ce qui viserait l'institution d'une inégalité originaire. Ce serait un crime 
contre la différence et contre l'égalité. Bref, une 
sélection.
                  Seule 
la généralisation de ces pratiques pourrait aboutir à une soi-disant 
"décriminalisation" , ce qui, dans la réalité, serait la mise en place d'une 
véritable politique eugénique criminelle, soumise non plus seulement aux 
critères sociaux et économiques du moment, mais à des critères idéologiques 
nouveaux.
                  Pour 
ce qui concerne l'intérêt scientifique, il nous faut rappeler deux contextes 
possibles : l'étude et l'expérimentation. La loi interdisant toute 
expérimentation sur l'embryon, permet la réalisation d'études à finalité 
médicale concernant l'embryon in vitro sous des conditions strictes, parmi 
lesquelles le consentement des parents et l'absence d'atteinte à l'embryon. Ces 
études peuvent être poussées trés loin, notamment dans le cadre du diagnostic 
préimplantatoire et déboucher sur un pronostic de vie génétique trés difficile, 
pour le futur enfant. A ce moment, l'enfant est conçu pour lui-même et ce sont 
les parents qui se prononcent pour le laisser se développer ou pour en 
avorter.
                  Selon 
moi, nous ne sommes pas dans le contexte du crime contre l'humanité. Mais la 
dimension criminelle demeure, et l'avortement est toujours un délit. Ce délit 
peut être comparé à celui qui consiste à ne pas assister son embryon en danger 
par tous les moyens humains et scientifiques possibles. Le tribunal des hommes 
peut juger que ce délit est dépénalisé, si l'honnêteté des parents et des 
médecins est prouvée, mais il ne peut, en aucun cas, légaliser ni encourager ces 
pratiques.
                  Toute 
autre est la perspective de l'expérimentation. La loi devrait dire que la 
conception d'un embryon à des fins commerciales, industrielles ou expérimentales 
est un "crime contre 
l'humanité".
                  Je 
rappelle mon principe : il y a crime contre l'humanité, non seulement quand on 
soumet un être humain à l'extermination, sous le prétexte qu'il est né, mais 
aussi lorsqu'on le fait naître pour faire des expériences sur lui et prendre le 
risque de 
l'exterminer.
                  Or, 
quel que soit son motif, même l'expérimentation de la division embryonnaire 
relève du projet 
exterminateur.
                  En 
effet, j'ai traité plus haut de la détermination artificielle du nombre 
d'enfants; mais le cas qui se présente est celui de mener une série 
d'expériences non plus en double aveugle, méthode comparative à la clef, mais en 
double clarté, c'est-à-dire dans le but de provoquer des phénomènes biologiques 
et psychologiques sur l'un et l'autre des hémiembryons, afin d'acquérir une 
connaissance que l'on prétendra utile, et qui, de fait, sera moralement 
nuisible.
                  Outre 
le fait que ce type d'expérimentations foule au pied les bases mêmes des 
expérimentations scientifiques dont on exige qu'elles soient éthiques (tout ce 
qui n'est pas scientifique n'est pas éthique, dit Jean Bernard), et sont donc 
non-recyclables dans le cadre des expérimentations scientifiques et éthiques, 
elle consiste d'abord et avant tout à définir ces deux embryons comme des 
moyens.
                  Dans 
le règne humain, il n'y a pas de distinction possible entre un être qui serait 
un moyen et un être qui serait une fin. Tous les êtres humains sont des fins. 
Toute autre perspective dessine le commencement d'un assujettissement et d'une 
aliénation d'un être à un 
autre.
                  L'exploitation 
économique et sociale de l'homme par l'homme n'est que l'expression 
épiphénoménale de l'aliénation de l'homme par 
l'homme.
                  Comme 
l'écrit Hegel, "chaque conscience poursuit la mort de l'autre". Le meurtre peut 
être radical, il peut également être rampant. Chaque conscience, qui subit les 
effets du désir inconscient de meurtre, dont le paradigme est le parricide, peut 
aller vers le meurtre par le chemin de la mort, mais aussi par le chemin de la 
vie.
                  Dans 
le premier cas, la pulsion consiste à en finir avec la fin qu'est l'homme, par 
le biais de l'anéantissement. Dans le second, c'est par le biais de la création. 
En ce sens le clonage est l'opposé individuel inconscient du génocide 
collectif.
                  Nous 
laisserons à d'autres le soin de comparer ce que pourrait être une 
expérimentation scientifique de la division embryonnaire fondée sur d'apparents 
critères démocratiques et ce qu'ont été les mesures, les massacres et les 
dissections de cadavres de jumeaux par le soi-disant docteur Mengele, décrits 
par Robert Jay Lifton dans "Les médecins nazis". Rappelons seulement que ce 
sinistre personnage avait pour but d'arriver à la "détermination complète et 
fiable de l'hérédité de l'homme", et que l'expérimentation de la division 
embryonnaire que certains appellent aujourd'hui de leurs vœux, est toujours 
justifiée, quant à elle, par l'objectif d'arriver à cette même détermination 
dans le domaine de la 
reproduction/procréation.
                  Je 
ne pense pas que les défenseurs démocratiques de ces soi-disant expérimentations 
seraient nécessairement conscients qu'ils avancent sur un chemin déjà tracé, 
prenant ainsi place dans le cadre d'un certain héritage, et je ne leur fais pas 
ce procès d'intention. Ils n'en seraient pas moins, à mes yeux, des 
tortionnaires. Ma position va donc plus loin que celle des différentes 
assemblées nommées dans le chapitre précédent, qui ont, à juste titre, réclamé 
l'interdiction du clonage humain, mais aussi plus loin que celle que l'Assemblée 
Mondiale de la santé a affirmée le 14 mai 1997 et dans laquelle il est dit que 
l'utilisation du clonage pour reproduire des êtres humains n'est pas acceptable 
sur le plan éthique et est contraire à l'intégrité de la personne humaine et à 
la 
morale.
                  D'ailleurs, 
les positions de ces éminentes assemblées sont parfaitement contradictoires : 
d'un côté elles condamnent le clonage humain par transfert nucléaire et ne 
disent rien sur le clonage humain par division embryonnaire, de l'autre elles 
poussent à la mise en place d'expérimentations sur l'embryon.
Conclusion
                  Pour 
faire face à ce que j'ai appelé le " désapprentissage du jugement moral ",nous 
devons poser une série de problèmes de fond : d'où nous plaçons-nous pour savoir 
ce qu'est l'intérêt supérieur -ce qu'on appelle ici le respect de l'intégrité- 
d'une personne, d'une société, de l'espèce humaine, et de l'humanité ? 
Existe-t-il un sujet omniscient qui peut juger de ce qui est communément bon 
pour ces quatre organisations humaines ? Et, s'il n'existe pas, est-ce une 
illusion ou une résistance que de considérer qu'il est de notre devoir de le 
constituer ?
*Ce texte est la réécriture d'une conférence donnée dans le cadre de l'Observatoire International du droit de la bioéthique et de la sous-commission "Ethique médicale-Droits de l'Homme", présidée par Mme Laurence Azoux-Bacrie, avocat à la Cour, le 13 janvier 1999, à la Maison du barreau (Paris).
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