Mon
cabinet n'aura jamais été fréquenté par une clientèle nombreuse. La
surveillance de sa comptabilité par les autorités fiscales en témoigne
en l'ayant régulièrement fixé en bas de l'échelle de ses bilans
comparatifs – à peine la moitié de la moyenne de mes confrères, spécialistes
en psychiatrie – du moins ceux du département, concentrés dans sa
ville préfecture, autour de son seul hôpital psychiatrique. Est-ce
parce que je suis parmi eux le seul psychiatre qui soit aussi psychanalyste ?
Est-ce que cela tient plutôt à ma personne ? Des patients dissipés
des parcours de soin m'ont parfois dit « Alors vous ! Ils
ne vous aiment pas. Qu'avez-vous donc fait pour qu'ils vous détestent
comme ça ?» D’autres me racontent que la Sécurité Sociale
leur aurait demandé pourquoi ils ne changeaient pas de psychiatre.
Est-ce vrai ? Je ne sais pas ni pourquoi, et je serais mauvais
juge. En tous cas, je me suis installé dans ce gros village en l'an
2001, pour la raison suivante : « Nous venons de perdre
notre seul psychiatre-psychanalyste (il venait de se suicider) –
m'avait dit le président du Conseil de l'Ordre – restez,
installez-vous chez nous.»
Un psychanalyste, doit-on penser, doit se dire mais
que venais-je faire aussi, par là ?! Une route ne va jamais au
hasard ! En l'occurrence j'y étais venu par une attraction légère,
mais détectable ; je préciserai pourquoi – d'abord je dois préciser,
que cette disette, cette basse fréquentation, n'a pas été nouvelle.
Depuis mes débuts, en 1979, une patientèle de misère.. mais attachée
– m'ayant suivi et soutenu – aura été la caractéristique de cette
carrière marquée par la solitude. Alors si j'étais paranoïaque, je
l'expliquerais par une remarquable inimitié de la part de mes confrères,
voire de mes semblables, ce dont par ailleurs je n'ai pas de francs
signes. Est-ce qu'on doit parler de névrose ?
J'ai mis ce terme, "paranoïaque", au
conditionnel, ce qui peut faire un aveu ; et puis d'autres
quolibets m'ont affublé, ce qui n'en témoigne pas moins. Je ne pense
pas exagérer. Cependant il existe d'autres opinions, généralement
bien renseignées ou plus intéressées, qui ont chacune nié ces impérities.
Cela fait un équilibre qui peut motiver qu'on essaie d'avancer. En
effet avec attention on dégage des choses sérieuses et remarquables.
Par conséquent, je vais énumérer simplement chaque pas que j'aurai
avancé depuis 2000, date de mon arrivée dans cette citadelle.. la préfecture
dont je parle est une citadelle, ce n'est pas une métaphore, avec ses
flancs dominants et ses donjons que les temps modernes n'ont pas entamés
aux plus reculés.
Je revenais des Amériques exactement en janvier 2000,
de retour avec un antécédent si précis et particulier, qu'on pourra y
voir ce projet dont j'ai parlé tout à l'heure, agissant derrière
l'alibi qu'on m'ait demandé d'y jeter l'ancre. Au croisement des
routes, puisqu'on me le demandait je m'arrêtais, mais y plantant comme
un panneau indicateur : mon action, tant à la médecine qu'à la
psychiatrie et qu'à la psychanalyse, viserait à développer sinon
fonder une « médecine des corps sociaux ». C'est de
ce terme que j'ai libellé ma présentation aux Conseils Départemental
et National de l’Ordre des Médecins. Deuxièmement je laissais plus
évasive l'option dont j'avais le soupçon qu' entre psychanalyse et
écologie il y a la stricte identité que la science Cybernétique
rassemble en une.
Troisièmement,
encore plus discret, je me connaissais une charge que je n'avais ni
choisie ni cherchée. Il s'agit de quelque chose que j'ai endossé à
seulement prendre acte du freudisme vers mes quatorze ans. Cet
engagement, pris dans un collège d'obédience catholique, du fait
candide de la jeunesse sans doute, était de prendre le relais de la
psychanalyse de Freud, là où il l'avait laissée à la fin. Mes pères
eudistes, obédience d'enseignants, m'y encourageaient. Au cours des
dernières lignes que Sigmund avait écrites avant l'injection terminale
qui mettrait fin à sa vie de cancéreux, il prescrivait de ne plus
avancer d'un seul pas sur la voie qu'il avait ouverte, tant que
certaines conditions n'étaient pas remplies.
Je
ne juge pas mes pairs, pas plus que je suis juge de moi et je pense que
chacun fait de son mieux. Cette voie requise par le fondateur, pour
compléter son invention qu'il n'avait pas pu atteindre, était celle
des corps sociaux ; il disait à son époque « de la psychologie
collective ». Je n'en juge donc pas mais c'est un fait :
à sa suite ses soi-disant disciples ont continué d'avancer, peut-être
à petits pas et sans véritable considération pour son
avertissement. J'exagère ; dans le détail on en trouvera deux ou
trois qui lui firent honneur – c'est à dire suffisamment peu pour que
la règle d'une négligence générale soit confirmée. Personnellement,
je ne sais pourquoi mais je pris ce relais. Le point de passation réside
à la fin de son dernier livre et testament. Le titre en français, 'Moïse
et le Monothéisme', a été traduit plus tard en ' L'homme Moïse
et le Monothéisme
' comme s'il fallait mettre l’accent sur quelque " physicalité "
dans un contexte où personne n'avait jamais douté de l'existence
historique de Moïse. J’expliquerai durant ce rapport que la
Psychanalyse débouche sur quelque chose de plus prononcé que l’objectivité ;
je l’appelle faute de mieux physicalité. Ce que Freud appelait
la 'psychologie collective' était la condition qui permettait cet éclairage
sur une personne, autrement ternie voire modifiée jusqu'à l'extrême
par des propagandes. Je m'étais donc après vingt années de préparation,
pour ma part chargé de cette question à partir de 1985. D'évidence
par conséquent, cela qualifiait le troisième énoncé de mon
installation en ladite citadelle préfectorale, parce qu'elle est un
bastion, une étoile et son site religieux sacré du monothéisme en
question. J'avais en quelque sorte était 'formé pour cette adresse' au
souvenir de "mes bons eudistes" mais cette préhistoire
n'avais pas de motif d'en parler de facto au Conseil de l'Ordre
des Médecins qui m'invitait au titre de la psychiatrie et de la
psychanalyse, qui n'ont de rapport que très extrême voire abusif avec
la religion.
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